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Le Conseil d’Etat (17 juin 2024 – n°488488) vient récemment de rendre une décision relative à l’épineuse question de la déductibilité des frais de mutation en cas de cession de titres démembrés.

Les faits de l’affaire sont relativement simples et se retrouvent dans la plupart des opérations de donation / cession de titres avec démembrement.

Dans le cadre d’une donation-partage, un contribuable a reçu de ses parents la nue-propriété de titres. Ces derniers se sont réservés l’usufruit des titres donnés. Les droits de donation ont été acquittés par le donateur.

Il convient de noter que cette pratique consistant à faire supporter les droits de mutation par le donateur se rencontre fréquemment quand le donataire ne bénéficie pas lui-même des liquidités pour payer les droits de donation relatifs aux titres transmis.

Cette possibilité résulte de la lecture de l’article 1712 du code général des impôts qui, bien que prévoyant qu’il appartient au donataire de payer les droits de mutation, ne comporte aucune mention impérative. Le donateur a donc la faculté de se substituer au donataire pour le paiement des droits. Cette possibilité est donc utile en pratique dès lors que dans la plupart des situations, le donataire ne dispose pas des liquidités pour y faire face.

Si cette possibilité est donc utile en pratique, elle bénéficie également d’un effet fiscal avantageux. Les droits de mutation supportés par le donateur ne sont pas considérés comme une libéralité supplémentaire taxable réalisée au profit des donataires (Cass. com. 28-2-2006 n° 03-12.310 FS-P). Cela permet donc de transmettre des liquidités au donateur qui n’ont pas la nature d’une libéralité taxable.

Au cas de l’espèce, les titres donnés ont quelques mois plus tard été cédés à un tiers. Compte tenu du démembrement existant sur les titres, les contribuables ont décidé de mettre en place un remploi du démembrement dans la souscription de parts sociales (i.e. le produit de cession a été remployé dans la souscription au capital de deux sociétés civiles dont le démembrement initial a été reporté sur les parts sociales de ces deux sociétés civiles).

En cas de remploi du démembrement, la plus-value réalisée sur la cession des titres démembrés est imposable uniquement au nom du nu-propriétaire conformément à l’article 150-0 A du CGI. Au cas particulier, la plus-value était donc imposable uniquement au nom du nu-propriétaire.

Le nu-propriétaire imposable sur la plus-value réalisée souhaitait déduire de l’assiette de la plus-value les droits de mutation supportés par le donateur au titre de l’acquisition des titres. Se posait donc la question pour le nu-propriétaire de la déduction des droits de mutation supportés par le donateur.

Le Conseil d’Etat considère dans cet arrêt que les droits de mutation supportés par le donateur à l’occasion de la donation de la nue-propriété des titres ne sont pas déductibles de la plus-value taxable au niveau du nu-propriétaire dès lors que ce dernier n’a pas lui-même acquitté les frais.

Le Conseil d’Etat adopte ici une lecture stricte de l’article 150-0 D du CGI et considère que les frais d’acquisition ne sont déductibles que dans la mesure où ce dernier a supporté lui-même frais en question.

Ce principe tenant à conditionner la déduction des frais de mutation au fait qu’ils soient supportés par le donateur avait déjà été précisé les juridictions de fond (Cour Administrative d’Appel de Bordeaux 4 juin 2008 n°06-1412). Une telle solution était déjà connue de la pratique.

La particularité de cette décision doit être toutefois mise en perspective avec la décision du Conseil d’Etat du 11 mai 2017 n°402479 dans laquelle la haute juridiction a indiqué qu’en cas de cession de titres démembrés avec remploi, le nu-propriétaire peut déduire du calcul de la plus-value imposable à son niveau l’ensemble des frais et taxes qui ont grevé l’acquisition tant de la nue-propriété que de l’usufruit. Il est donc possible dans cette situation de déduire les frais supportés par l’usufruitier pour l’acquisition de son usufruit.

Compte tenu de cette décision de 2017, il pouvait donc être tentant de demander la déduction des droits de mutation supportés par l’usufruitier au titre de la donation de la nue-propriété en cas d’imposition de la plus-value globale (plus-value de l’usufruitier et du nu-propriétaire) au seul niveau du nu-propriétaire. Un tel raisonnement n’a pas toutefois pas été suivi dans le cadre de cette décision. La décision de 2017 reste cantonner à la déduction des frais supportés par l’usufruitier pour l’acquisition de son usufruit.

Il convient de relever que cette décision ne doit pas selon nous être transposable à la situation dans laquelle le donataire est rattaché au foyer fiscal du donateur qui prend à sa charge les droits de mutation. Dans cette situation, le tribunal administratif de Paris (12 novembre 2012 n°1113118) a eu l’occasion de préciser que les droits de mutation à titre gratuit acquittés pour le compte de ses enfants mineurs par un contribuable à l’occasion de la donation de titres qu’il leur a consentie doivent être pris en compte à titre de frais d’acquisition pour la détermination de la plus-value taxable réalisée lors de la cession de ces titres par les membres du foyer fiscal.